21 – AFFREUSE CERTITUDE
— Mais cet animal de Juve, que diable peut-il faire ? Il ne revient pas ? Voilà déjà plusieurs jours que je suis enfermé dans cette abominable prison. Ma provision d’eau s’épuise, ce maudit jambon me soulève le cœur.
Il y avait, en effet, de longues heures que Fandor était prisonnier dans la sinistre cachette qu’avec son extraordinaire flair policier il avait su découvrir, et dans laquelle il avait pris place pour aider au sauvetage du roi et prendre sur le fait, si possible, les complices de Fantômas. Or, non seulement Juve n’était point arrivé le lendemain matin de son emprisonnement volontaire, ainsi que le journaliste l’avait espéré tout d’abord, mais aussi la journée s’était écoulée, puis la nuit, puis d’autres nuits, puis de nouvelles journées. Toujours rien.
Fandor cependant réagissait :
— Puisque Juve ne vient pas, il faudra que je me passe de lui… je suis ici en villégiature. C’est une maison de campagne d’un nouveau genre, cette statue de la place de la Concorde. Tâchons de nous y organiser et d’y vivre le moins mal possible.
Fandor avait, bien entendu, et plus heureux que le roi, puisqu’il pouvait s’aider de sa lampe électrique, procédé à l’exploration minutieuse de sa cellule…
Il s’était glissé à maintes reprises jusqu’au corps de la naïade qui, en basculant, lui avait ouvert l’accès jusqu’au souverain. Il s’était efforcé de découvrir la combinaison qui lui permît de sortir de son cachot, mais, décidément, la chose était impossible.
Et durant les minutes qu’il vivait, à la fois énervantes et lassantes, l’intrépide reporter ne pouvait que repasser en son esprit les termes de la lettre qu’il avait laissée à Juve, se demander s’ils étaient assez clairs, assez détaillés, assez explicites pour que le policier pût trouver, comme il l’avait trouvée lui-même, l’entrée secrète, la naïade qui, s’effaçait devant le passage dans la fontaine, pour que Juve pût venir le rendre à la liberté…
Il réfléchissait de plus en plus inquiet à l’étonnant retard du policier, retard qui devenait angoissant pour lui, lorsque soudain, une nuit, le son d’une voix lui parvint. Elle tombait du plafond. Lointaine et voilée, cette voix l’interrogeait :
— Vous m’entendez ?
— Oui, je vous entends…
— Vous deviez vous inquiéter ?
— Ah ! si je m’inquiétais ? J’ai cru devenir fou ! Comme vous avez été long.
— En effet, reprenait la voix qui arrivait toute nasillarde, défigurée par son passage à travers le tube acoustique, en effet, je suis un peu en retard, mais ce n’était pas commode…
— Enfin, vous avez réussi ?
— Oui, pas trop mal. J’ai réussi…
— Est-ce qu’on sait tout, à Glotzbourg ?
— Hum ! on doit commencer à se douter…
— Vous êtes revenu quand ?
— Ce matin…
— Seulement ?
— Seulement.
— Et vous avez trouvé ma lettre ?
— Votre quoi, Sire ? Je vous entends mal…
Fandor ne songeait même pas à relever l’appellation bizarre que Juve s’entêtait à lui donner.
Pourquoi le policier ne l’appelait-il pas, comme il le faisait toujours : « Fandor, mon bon Fandor… ? »
— Je dis, répéta-t-il, que vous avez trouvé ma lettre, puisque vous êtes là ?…
Et, sans laisser à son interlocuteur le temps de poursuivre, le journaliste continua :
— Je vous en prie, maintenant, tirez-moi de ce trou, et le plus rapidement possible… c’est épouvantable d’être prisonnier comme je le suis. Vous ne pouvez pas savoir combien j’ai hâte de respirer l’air pur, l’air libre…
— Si… si… je le comprends… mais je me demande comment vous tirer de là ?…
— Vous vous demandez… ?
— Avez-vous réfléchi à la façon dont nous pourrons faire l’échange ?…
— Mais vous devez bien savoir comment faire, mon bon ami, puisque dans ma lettre je vous ai donné toutes les explications…
— Dans votre lettre ?
— Oui ! dans ma lettre… je vous ai même laissé un plan…
— Voulez-vous me la passer, cette lettre… par…
— Hé ! c’est bien simple ! cherchez la troisième naïade ; vous comptez en commençant par celle qui est du côté du pont… un de ce côté-là… deux en face des Champs-Elysées… etc..
— Ah çà ! mais, Sire, nous ne nous comprenons pas. Je vous demande où nous échangerons le diamant ?…
— Le diamant ?
— Oui ! votre diamant !…
Debout au milieu de sa cellule, les bras ballants, la figure soudain blêmissante, Fandor répéta :
— Mon diamant ?
— Le diamant que j’ai été prendre à Glotzbourg !… voyons ! Sire ! qu’avez-vous ? vous ne vous souvenez pas ? et qu’est-ce que c’est donc que cette lettre dont vous me parlez ?…
— Mais… clama Fandor avec un accent d’angoisse indicible… mais enfin, Juve, je vous parle de la lettre que j’ai laissée chez vous et dans laquelle je vous explique les moyens d’arriver jusqu’à moi !…
— Juve !… Juve !… ah ! bon !
Un éclat de rire strident, prolongé, infernal, diabolique, parvint jusqu’à Fandor qui, cette fois, devinant l’horrible vérité, haleta :
— Mais ce n’est donc pas vous, Juve, qui me parlez ? Ah ! pour l’amour de Dieu ! qui êtes-vous donc ? qui êtes-vous donc ?…
L’éclat de rire s’était tu. Et les sens exaspérés, Fandor entendit la voix qui reprenait :
— Celui qui vous parle… c’est Fantômas !
Fandor attendait Juve, et c’était Fantômas qui se raillait de sa détresse. À demi-mort, il avait soif de vivre, et c’était Fantômas, c’était la Mort qui lui donnait la réplique.
Titubant, accablé, terrifié, Fandor hurla :
— Fantômas ! Fantômas ! Ah ! ce n’est pas possible ! Vous n’êtes pas Fantômas. Fantômas est arrêté. Fantômas est aux mains de Juve !
— Fantômas arrêté ? On n’arrête pas Fantômas. Nul n’arrêtera jamais Fantômas… Fantômas ne sera jamais aux mains de personne. Fantômas ne sera jamais au pouvoir de Juve. Fantômas est insaisissable, au-dessus de toutes les attaques, indifférent à toutes les menaces. Fantômas est la Mort, la Mort Éternelle, la Mort Impitoyable, la Mort Souveraine. Adieu…
Et ce fut alors le silence, le silence inviolable, qui étouffa les cris de Fandor, ses appels, sa colère, impuissante et vaine d’homme enterré vif, qui se sent mourir, qui se sait condamné, qui s’écoute agoniser…
— Alors ? alors ? pensa-t-il, malgré ce qu’ont dit les journaux, malgré qu’on ait annoncé son arrestation par Juve, Fantômas est libre ? Qu’est-il donc advenu de Juve ? Vit-il seulement, encore ? N’est-il pas déjà tombé sous les coups de ce misérable qui, sans doute, dès maintenant prépare ma mort ?…
Et soudain Fandor pensa qu’il avait parlé de la lettre à Fantômas, la lettre à Juve où il indiquait au policier comment parvenir à la cachette des Fontaines chantantes.
Cette lettre… mais Fantômas allait la reprendre ?…
Pénétrer chez Juve, c’était un jeu pour Fantômas. Détruire cette lettre, le seul espoir de salut qui pût rester à Fandor, c’était pour lui une nécessité à laquelle il ne se déroberait pas.
Avec son extraordinaire netteté d’esprit, d’ailleurs, il cherchait déjà à deviner comment Fantômas allait se débarrasser de lui.
— Fantômas communique avec ma cellule, facilement, par le tuyau qui lui a servi de porte-voix… Il peut, à la rigueur, m’insuffler par ce tuyau un gaz asphyxiant quelconque, et dans ce cas, sauf le respect que je me dois, je puis m’attendre à être enfumé comme un lapin dans son terrier… Il peut encore, cela ne doit pas être bien difficile, déterminer l’envahissement par les eaux du bassin de mon cachot… dans ce cas, toujours sauf le respect que je me dois, je serai noyé comme un rat dans un bateau qui coule… mais il est infiniment plus probable, hélas ! qu’il va se contenter tout bonnement de m’oublier ici, dans ce tombeau où je ne peux rien, où nul ne viendra à mon secours, où je crèverai de faim, si je ne suis pas mort de soif avant. À moins que, d’ici là…